Publié le Mercredi le 15 octobre 2025

Mon corps

Il peut être difficile de se poser cette question sans tomber sur la défensive : « Moi? Grossophobe? Mais pas du tout ! ». La réalité cependant, c’est que tout le monde l’est un peu. Il ne faut pas le prendre comme une attaque personnelle, mais plutôt comme un constat universel. La société véhicule des messages grossophobes partout, à longueur de journée, et ça fait partie de la nature humaine de les assimiler, même inconsciemment. C’est ce qu’on appelle la grossophobie internalisée.

Ce que ça veut dire, c’est que dans une même situation, on a tendance à percevoir différemment les personnes grosses comparativement aux autres sans s’en rendre compte. Comme juger plus facilement une personne grosse qui mange du fast food qu’une personne mince. Ou encore, être plus facilement irrité.e si la personne qui est à côté de nous dans l’avion est une personne grosse plutôt qu’un athlète très musclé, alors que les deux prennent la même place.

Au-delà de nos perceptions, il y a également nos réactions. Parfois, nos paroles peuvent être également plus grossophobes et dommageables qu’on aurait pu le penser. C’est donc important de ne pas minimiser leurs impacts.

« Ce n’était pas méchant, au contraire, c’était bienveillant. »

La raison qui revient le plus souvent pour justifier de commenter le poids d’une autre personne, c’est de l’avoir fait avec de bonnes intentions. Notamment, par inquiétude pour son bien-être ou sa santé. Cependant, cet argument ne tient pas compte de plusieurs éléments importants :

  1. Une personne qui a pris du poids est consciente d’avoir pris du poids. Tout comme une personne grosse sait qu’elle est grosse. Il y a une forme d’infantilisation dans le fait d’adresser le poids comme étant une nouvelle information, comme si ces personnes ne le savaient pas déjà. Que ce soit à cause des miroirs, de la balance, du regard de la société sur leur corps ou du simple fait d’avoir des yeux pour se regarder, les personnes concernées sont déjà au courant de leur apparence et de leur poids et n’ont pas besoin d’un rappel à cet égard.
  2. Le poids n’est pas un synonyme d’état de santé. Contrairement à ce que prétend la culture des diètes, un simple coup d’œil ne permet pas d’évaluer la santé d’une personne. Cela signifie aussi qu’une prise de poids n’est pas nécessairement liée à quelque chose de négatif (par exemple, une personne en processus de guérison d’un trouble alimentaire). Inversement, une perte de poids n’est pas non plus nécessairement liée à quelque chose de positif (par exemple, les effets secondaires d’une médication pour une condition de santé). Ultimement, il n'est pas non plus de notre devoir comme non-propriétaire du dit corps d'enquêter ou d'obtenir la preuve de sa santé. 
  3. Des études (1,3) démontrent que commenter le poids et l’apparence d’une personne produit l’effet inverse de celui escompté. En effet, ces commentaires favorisent plutôt l’adoption de pratiques alimentaires et corporelles néfastes (restriction, autosurveillance, honte, etc.). Ils augmentent aussi l’insatisfaction corporelle et affectent le bien-être et la santé mentale (2).

« C’était juste un petit commentaire, rien d’autre. »

Les commentaires et critiques axés sur le poids sont fréquents et omniprésents. La pression de devoir changer son corps est partout autour de nous, que ce soit de manière directe ou indirecte.

En voici quelques exemples :

  • Se lever le matin et voir une publicité amaigrissante dans le journal.
  • Prendre le métro bondé et se faire jeter des regards de manière hostile parce que notre corps prend de la place.
  • Entendre des discussions sur le poids et les régimes au travail pendant le dîner.
  • Aller souper chez des proches et l’un d’entre eux souligne qu’on a engraissé.

Ces commentaires peuvent être difficiles à recevoir, car ils s’additionnent au reste. Même quand c’est dit sur le ton de la plaisanterie ou avec la même légèreté qu’un « Bonjour, bonne journée », on ne sait jamais quand ceux-ci peuvent être la goutte qui fera déborder le vase. 

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’un commentaire vient rarement seul. Il s’inscrit dans un contexte plus grand que les mots prononcés et s’ajoute à une multitude d’autres choses qui pèsent déjà sur une personne.

« Que puis-je dire alors? »

Même si ça part d’une bonne intention, même si c’est dit sans méchanceté ou juste pour taquiner, commenter le poids d’une personne, c’est la voir à travers les lunettes teintées de la grossophobie.

Le but ici n’est pas de pointer du doigt ni de faire une chasse à la grossophobie. C’est plutôt une invitation à :

  • S’abstenir de commenter le corps des autres. Valorisons et abordons plutôt les personnes qui nous entourent autrement que par leur apparence et leur poids.
  • Jouer un rôle actif dans la création d’espaces sécuritaires. Pour les gens qui nous entourent, soyons un havre de paix, à l’abri de ces messages incessants et envahissants. Évitons d'être un miroir de la société qui nous pousse à scruter et à juger un corps qui n'est pas le nôtre. 
  • Considérer les impacts que peuvent avoir nos commentaires. Réfléchissons ensemble à certaines de nos pensées qui sont peut-être plus grossophobes et néfastes qu’on ne l’avait réalisé.  

Pensez-vous qu’il vous arrive d’être grossophobe sans le savoir?

(1) Eisenberg, M. E., Berge, J. M. et Neumark-Sztainer, D. (2013). Dieting and Encouragement to Diet by Significant Others: Associations with Disordered Eating in Young Adults. American Journal of Health Promotion, 27(6), 370‑377. https://doi.org/10.4278/ajhp.120120-QUAN-57

(2) Eisenberg, M. E., Franz, R., Berge, J. M., Loth, K. A. et Neumark-Sztainer, D. (2017). Significant others’ weight-related comments and their associations with weight-control behavior, muscle-enhancing behavior, and emotional well-being. Families, Systems, & Health, 35(4), 474‑485. https://doi.org/10.1037/fsh0000298

(3) Menzel, J. E., Schaefer, L. M., Burke, N. L., Mayhew, L. L., Brannick, M. T. et Thompson, J. K. (2010). Appearance-related teasing, body dissatisfaction, and disordered eating: A meta-analysis. Body Image, 7(4), 261‑270. https://doi.org/10.1016/j.bodyim.2010.05.004

Parution : Octobre 2025

Nadia Tranchemontagne
À propos de l'autrice

Bachelière en études françaises et finissante au baccalauréat en travail social, Nadia Tranchemontagne s’intéresse au pouvoir cathartique des mots et à la recherche d’émancipation face aux diktats de la société. Elle publie, en janvier 2025, son premier roman La grosse qui rêvait d’amour, alliant fiction et essai pour parler de ces sujets, mais également de troubles alimentaires, de grossophobie et plus encore.

 
La découverte du concept de neutralité corporelle à l’âge adulte a révolutionné sa manière de concevoir sa relation avec son propre corps. Soucieuse qu’on évite de remplacer la pression des standards de beauté par la pression de devoir s’aimer à tout prix, elle utilise ses réseaux sociaux et autres plateformes pour faire connaître et militer pour ce mouvement social qui prône une reconnaissance de la valeur humaine autrement que par l’apparence physique.


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