Publié le Mercredi le 15 octobre 2025

Mon corps

On reconnaît de plus en plus que les microagressions liées à l’origine ethnique et au genre représentent un problème de santé publique affectant particulièrement les femmes, les personnes de couleur, les personnes ayant des handicaps et les groupes minoritaires (1). Pourtant, la grossophobie et les comportements discriminatoires en lien avec le poids qui s’expriment à travers des microagressions demeurent peu discutés, voire peu reconnus. 

Qu’est-ce qu’une microagression?

Les microagressions peuvent être conceptualisées comme des attaques, des insultes, de mauvais traitements qui sont succincts, communs, fréquents et qui se cumulent dans les interactions, paroles, comportements ainsi que l’environnement (1). Qu’elles soient conscientes ou inconscientes, les microagressions dénotant un dédain pour le gras et une préférence pour la minceur abondent sur les médias sociaux. Les conseils pour favoriser la perte de poids donnés par des coachs en activité physique ou des influenceur.euse.s très minces, les images dévalorisantes de personnes grosses et les commentaires négatifs sur le poids envahissent les contenus médiatiques que nous consultons. De tels comportements témoignent des préjugés et des stéréotypes en lien avec le poids qui nous entourent.

Quels sont les différents visages des microagressions en ligne?

Les images, les commentaires ou les conseils encourageant les gens à mincir utilisent souvent des angles de communication qui s’avèrent dénigrants pour les personnes grosses. À cet effet, un article récent paru dans La Presse (2) déplorait d’ailleurs le retour des pressions pour être mince, notamment à travers le skinnytok. On y suggérait que, devant les options médicamenteuses pour la perte de poids de plus en plus accessibles, il semblerait encore plus « légitime » de rechercher un corps mince.

Les attaques liées au poids sur les médias sociaux prennent fréquemment la forme de commentaires exprimés sous le couvert de la libre expression ou de l’anonymat. Ce type de commentaire surpasse nettement les commentaires visant à défendre les personnes grosses (3). Les femmes plus grosses ressortent d’ailleurs comme particulièrement à risque de subir des microagressions grossophobes sur les médias sociaux. 

Les contenus axés sur la santé peuvent-ils être grossophobes?

Même les contenus axés sur la santé ou sur les causes d’un poids élevé peuvent stigmatiser et discréditer les personnes grosses en communiquant de l’information sur ce à quoi le corps devrait ressembler (4). De la même façon, des commentaires qui se veulent bienveillants et qui sont formulés avec l’idée d’aider les personnes grosses à mieux gérer leur poids peuvent être grossophobes.

Quels effets ont les contenus grossophobes?

Les contenus grossophobes ont pour effet de causer de la détresse psychologique chez les personnes qui les reçoivent, en plus de porter atteinte à leur valeur personnelle. Les personnes visées en viennent à croire qu’elles devraient être honteuses ou à blâmer pour leur poids. En plus de normaliser la minceur, ces contenus laissent sous-entendre que chaque personne, peu importe son poids, est à risque de prendre du poids, de se négliger, de manquer de volonté et de subir de la stigmatisation. Ils perpétuent les préjugés en lien avec le poids et contribuent à l’idée qu’un poids plus élevé est un problème. Enfin, ces contenus soutiennent à tort l’impression que le poids peut être contrôlé et qu’il dépend uniquement de la volonté d’une personne, négligeant complètement de considérer les fortes influences de la génétique et de l’environnement dans lequel nous évoluons (5). Par exemple, l’augmentation de la taille des portions, l’offre d’aliments ultratransformés et la pauvreté demeurent des causes environnementales souvent méconnues (4).

Faire partie du problème ou de la solution?

Il ne fait aucun doute que les microagressions présentes sur les médias sociaux entretiennent la grossophobie. Des études expérimentales ont d’ailleurs bien montré que l’exposition à des contenus grossophobes augmente les préjugés, attitudes et comportements stigmatisants (4). Devant de telles évidences, un choix de comportements s’impose. Les gens qui refusent de se questionner quant à leurs commentaires et leurs actions continueront, parfois insidieusement, à faire partie du problème et à nourrir la grossophobie. Les gens qui choisiront de ne pas partager ou commenter du contenu dénigrant les personnes grosses et qui ne prodigueront pas de conseils axés sur la perte de poids feront partie de la solution.

Des algorithmes de détection de langage haineux ou dépréciatif ont fait preuve de résultats prometteurs pour réduire les biais raciaux (6). Pourquoi ne pas s’intéresser à de telles stratégies dans le cas de la grossophobie? À l’échelle individuelle et pour contribuer à diminuer la grossophobie sur les médias sociaux, il est possible d’utiliser un langage positif par rapport au poids, d’éviter les jugements (ou si le jugement est très présent en nous, de s’abstenir de commenter) puis de partager et d’utiliser des images qui mettent les personnes grosses en valeur. Avant d’agir et de commenter, un peu de réflexion sur nous-mêmes, nos préjugés et nos comportements blessants à l’égard des personnes grosses semble utile. Les médias sociaux deviendront ainsi plus humains.

Bref, voulons-nous faire partie du problème ou de la solution?

(1) Chen, Y.-W., Kalaydijian, V., & Dwyer, A. (2024). “You’re so brave”: Unpacking fatphobic (micor)aggressions with “Body-positive” influencers and activists. Emerging Media, 2(1), 86-108.

(2) https://www.lapresse.ca/societe/sante/2025-08-31/sante-et-bien-etre/skinnytok-et-le-retour-du-culte-de-la-minceur.php

(3) Jeon, Y.A., Hale, B., Knackmuhs, E., & Mackert, M. (2018). Weight stigma goes viral on the internet: systematic assessment of YouTube comments attacking overweight men and women. Interactive Journal of Medical Research, 7(1), e6. https://doi: 10.2196/ijmr.9182

(4) Kite, J., Huang,B.-H., Laird, Y., Grunseit, A., McGill, B., Williams, K., Bellew, B., & Thomas, M. (2022). Influence and effects of weight stigmatisation in media: A systematic review. eClinical Medecine, 48. https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2022.101464

(5) Westbury, S., Oyebode, O., van Rens, T., & Barber, T.M. (2023). Obesity stigma. Causes, consequences, and potential solutions. Current Obesity Reports, 12, 10-23. https://doi.org/10.1007/s13679-023-00495-3

(6) Clark, O., Lee, M. M., Jingree, M. L., O'Dwyer, E., Yue, Y., Marrero, A., ... & Mattei, J. (2021). Weight stigma and social media: evidence and public health solutions. Frontiers in nutrition, 8, 739056

Parution : Octobre 2025

Annie Aimé
À propos de l'autrice

Annie Aimé est professeure à l’Université du Québec en Outaouais. Elle travaille également comme psychologue pour la clinique Imavi. Elle est superviseure, conférencière ainsi qu'autrice de nombreux livres et articles portant sur les problèmes d’alimentation et d’image corporelle. Elle a notamment codirigé les livres L’image corporelle sous toutes ses formes (édité par Les Presses de l’Université du Québec en 2022) et Le corps pris en otage : Agir quand un trouble des conduites alimentaires s’empare de votre enfant (édité par Les Éditions du Trécarré en 2024).


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